samedi 19 juin 2021

Les temps barbares.

 

Nous sommes des guerriers de papier,
nous regardons  la nuit effondrer 
patiemment son toit
sur les creux blanchis des trottoirs,
sur la tristesse des fous.
Oh, les gouffres qui nous sortent des yeux !
 
Partout, le soleil aveuglant des temps barbares
a traqué les poètes.
Eux, qui étaient peuple, qui riaient aussi fort
qu' ils chantaient la folie des fleurs et de la houle,
qui escaladaient les villes et les pays
en se frappant la poitrine
avec l'aube toute entière,
ont vu leurs mains se rétrécir aux dimensions
d'un pauvre pétale de narcisse frais.
 
Nous restons seuls, endeuillés
de la beauté et du rêve, vêtus de riens
et de peut-êtres.
 
Les chasseurs sont après nous, poignards en plein jour,
bras levés afin de frapper le plus vite possible.
Nous filons dans les labyrinthes bleus de l'histoire,
à la recherche de la force et de la sève
de nos illustres prédécesseurs.
 
Et nous les trouvons. Ils sont là, debout 
dans l'ombre, affairés à mener 
à bien quelque tâche
dont ils ont décidé de se charger,
malgré le soleil étincelant de la mort
et l'ange épineux qui hurle sur leur front.
Pablo, Federico et Rafael sont là.
Robert, Louis, Paul et René aussi.
Walt et d'autres encore. Ils sont droits 
comme des i, ils travaillent encore, 
ils travaillent toujours, acharnés 
à désosser le cadavre mauve du 
quotidien.
 
Ils ont regardé le monde comme toi,
et puis leur coeur a écrit l'histoire 
de ce monde, avec des mots simples 
et de simples larmes.
Ils ont regardé le monde
et ils ont vu la femme,
et leur amour a chanté nuit et jour 
pour elle, pour ses yeux et son corps,
pour sa voix de mère et son chant d'amante,
pour la force infinie qui lui permet de
maîtriser vagues et marées, montagnes,
déchirures et embrasements.
Les poètes ont aimé et rien, aucun brasier
n'a dégagé de chaleur plus puissante
que celle-là, de lumière plus ardente.
Ce soir, là dans l'ombre, près de moi et
de mon âme fatiguée, là, vibre ce monde
qu'ils ont vu et reconnu comme le leur,
entièrement leur, jungle autant que
cathédrale humaine, désert de cendres
et de pierres résonnantes,
monde vivant.
 
Nous, tièdes amants, pauvres silhouettes
vibratoires enchaînées à des litanies 
de chèvre et de corde,
nous devons, pour avoir une chance 
d'apercevoir la vérité, tourner la tête 
et regarder par-dessus notre épaule.
Eux prenaient le monde de face et voyait tout,
tout jusqu' à l'horizon, en un seul mouvement.
Aucun détail ne leur échappait, pas 
une once de vérité ne s’effaçait sur le carreau étranglé de leur vision.
Ils étaient présents et la vérité nue,
crue et éblouissante du présent était leur vin,
la floraison de leur coeur, la libération impitoyable
de leur saison d' homme. Ils étaient forts
comme des volcans d' automne, 
comme des torrents de liane et d'olives.
Des mélodies toutes fraîches descendaient
à la croisée des chemins pour pressentir
la mort, son odeur, son feu. Eux avançaient
en cueillant des arbres et des tambours,
en crevant le silence des orchidées et du soleil
impossible, et, sur le chemin, les bêtes fabuleuses
qui peuplent notre égarement
s'inclinaient devant leur royale démarche.

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